Article 1. Les matériaux naturels
Penser des architectures en matériaux naturels: un enjeu écologique social et durable.
I. Matériau naturel, bio-sourcé, géo-sourcé, écologique ?
« D’aucuns disent que le béton est un matériau naturel. Effectivement le sable, le gravier, l’acier et le ciment sont composés essentiellement de pierre calcaire. Le béton étant la combinaison de ces éléments naturels, la logique voudrait qu’il soit lui aussi un matériau naturel. Mais la question n’est pas là. En réalité, la frontière entre le naturel et l’artificiel est indéterminée. » *1
Cette citation a été écrite par Kengo Kuma un architecte japonais qui questionne l’intégration de l’architecture dans son milieu tant dans la conception des espaces que dans la mise en œuvre des matériaux tous choisis selon le paysage, les possibilités constructives du territoire et le savoir-faire local. Elle interroge sur la notion de définition des matériaux.
Le Ministère de la transition écologique distingue par exemple différents termes dont il exclut le bois : les matériaux biosourcés définis comme les matériaux « issus de la matière organique renouvelable d’origine végétale ou animale »*2 (ex : chanvre, paille, ouate de cellulose, etc) et les matériaux géosourcés comme la terre crue et la pierre.
L’ensemble de ces dénominations (matériaux bio et géo-sourcés, matériaux naturels ou encore écomatériaux) tendent à caractériser des ressources répondant aux enjeux du développement durable par leur impact écologique et social.
Kengo Kuma explique donc :
« Quand une chose entretient une relation heureuse avec le lieu où elle se trouve, nous ressentons cette chose comme naturelle. » *3.
En référence à l’architecte japonais nous emploierons donc dans cet article le terme de « matériau naturel » pour définir une ressource de construction qui par ses propriétés physiques et ses dimensions locales et sociales, cultive le vivant. Cette notion englobera le bois et les matériaux biosourcés et géosourcés tels que définis par le Ministère de la transition écologique.
II. Les propriétés physiques du matériau naturel
Si le béton présente de nombreux avantages expliquant son large emploi (disponibilité, facilité de mise en œuvre, résistance, liberté de formes et d’esthétiques, etc) ; il produit également des contreparties écologiques : surexploitation des ressources comme le sable (participant ainsi à la destruction des fonds marins), empreinte carbone lourde ou difficile réemploi de la matière.
Face aux enjeux écologiques et sociaux actuels, la question du matériau en architecture est devenue un sujet essentiel.
Les matériaux naturels présentent différentes propriétés physiques qui permettent de répondre à ces enjeux.
A. Faible empreinte carbone
L’empreinte carbone d’un matériau se mesure sur l’ensemble du cycle de vie de ce dernier. On prend en compte la production (extraction, fabrication des différents composants, transport, assemblage, etc), le transport vers le site du projet, le coût énergétique de la mise en œuvre, son utilisation et sa gestion en fin de vie.
Sur ces différents points le matériau naturel est systématiquement plus intéressant qu’un matériau industriel :
- la liste de ses composants est réduite ;
- sa fabrication est souvent locale voir ultra-locale (la terre par exemple peut provenir du site même du chantier par l’excavation des terres de fondations) ;
- sa construction demande peu d’énergie (hors bois en cas de levage) ;
- de nombreux matériaux naturels permettent pendant toute la durée de vie du bâtiment un stockage de CO2 ;
- et enfin les matériaux naturels pour la plupart sont réemployables, lors de leur déconstruction ils pourront être remis en œuvre en l’état ou avec une légère transformation.
B. Consommation d'eau
Ils nécessitent moins d’eau.
La production de paille par exemple ne consomme que l’eau nécessaire à sa culture (selon les régions l’eau des précipitations peut être suffisante). En opposition, la production d’1kg de béton nécessite 32L d’eau *4.
C. Propriétés thermiques
Concernant les isolants, en plus de leurs résistances thermiques similaires aux produits industriels. De nombreux matériaux naturels comme la terre présentent une capacité de déphasage liée à leur inertie (notons que le béton possède également cette propriété).
Un mur en terre crue possède par exemple une capacité de déphasage de 12h. C’est-à-dire qu’il capte la journée la chaleur de la température extérieure et la redistribue la nuit.
Combinées à des équipements choisis, leurs mises en œuvre permet une diminution importante des consommations d’énergies liées au chauffage d’un bâtiment.
Pour reprendre l’exemple du mur en terre crue :
- En hiver, le mur de terre peut être associé à un poêle à bois. La journée, le chauffage de la maison sera assuré par la production de chaleur du poêle et le soleil pénétrant par les fenêtres. La nuit une fois le soleil couché et le poêle éteint ; les murs prendront le relais en retransmettant les chaleurs du soleil et du poêle à bois accumulées dans la journée.
- En été, on préservera une température intérieure douce en protégeant de jour les fenêtres du soleil (stores extérieurs, brise-soleils, etc). La nuit lorsque les températures sont plus fraiches, le mur en terre restituera la chaleur absorbée la journée.
D. Propriétés hygrométriques
Les matériaux industriels sont pour la plupart imperméables. Ils ne laissent pas passer la vapeur d’eau. L’intérieur du bâtiment subit donc un effet poche plastique qui s’il n’est pas gérer par une bonne ventilation peut créer des désordres (condensations, traces d’humidités, etc).
À l’inverse nombres de matériaux naturels sont perméables, ils laissent la vapeur d’eau traverser le mur et permettent donc de gérer le confort hygrométrique du bâtiment. Cette propriété permet une sensation de confort global indéniable. Elle évite également les surchauffes liées à l’humidité d’un bâti.
E. Propriétés sanitaires
Les matériaux naturels émettent peu de composés organiques volatiles nocifs pour la santé et préservent donc la qualité de l’air.
Cependant, notons qu’il ne s’agit pas ici de proscrire les matériaux industriels. Chaque matériau à ces qualités. L’objectif de la conception est de les employer au bon endroit. Par exemple dans le cas d’un projet de construction de plein pied en ossature bois ; l’ossature ne devra pas être en contact direct avec la dalle ; un soubassement est nécessaire pour éviter les remontées humides dans le bois. Le béton répond alors parfaitement pour cet emploi : il permet un soubassement dans la continuité des fondations et un nivellement de sa tête facile pour l’accueil de l’ossature.
III. La dimension locale et sociale du matériau naturel
Kengo Kuma explique : « Le béton a façonné les villes, les États et la culture. Et aujourd’hui encore il règne sur nos vies. Les grands axes du XXe siècle furent l’internationalisme et la mondialisation. Il fallait unifier le monde par une seule technique » *5 : le béton.
Au XXème siècle la domination de la construction béton a entrainé une uniformisation du paysage architectural et un nivellement des connaissances constructives. On observe en effet une certaine perte de savoir-faire à propos des techniques constructives traditionnelles, vernaculaires et territoriales dont sont souvent issus les matériaux naturels.
En 2025, de nombreuses filières se sont largement organisées afin de retrouver et recomprendre ces savoir-faire anciens.
La présence des différents matériaux naturels évolue selon la région et le territoire. Historiquement on produisait et on mettait en œuvre les ressources de façon locale. La mise en œuvre de la terre crue par exemple diffère selon le territoire et donc la composition de la terre. A Lyon on emploie principalement la technique du pisé, car la terre est sèche et caillouteuse. En Vendée ou en Ile-et-Vilaine on emploie la bauge ou le torchis (sous forme d’édifices à colombages) qui nécessitent une terre argileuse. Chaque territoire a donc développé ces propres techniques constructives selon les ressources locales.
Aujourd’hui encore mettre en œuvre des matériaux naturels c’est permettre une relocalisation et une revalorisation de l’emploi dans le bâtiment.
Des matériaux comme le zinc ou l’aluminium sont produits à échelle internationale. Ce sont des ressources épuisables dont les conditions d’extraction entrainent une pollution des territoires exploités. La bauxite (roche dont on extrait le plus d’aluminium) se trouve par exemple en abondance au Brésil, en Guinée ou encore en Australie. Des mines géantes sont créées et participent à la déforestation et au déplacement de populations locales.
En opposition, les matériaux naturels permettent une remise en valeur du travail des artisans et artisanes. Les professionnels sont moins soumis au danger du travail lié à l’exposition aux polluants. Et leurs savoir-faire et savoir-technique sont nécessaires au travail de conception et de suivi de l’architecte.
IV. Mettre en oeuvre des matériaux naturels dans un projet d'habitat
A. Le coût
Le coût de construction immédiate d’un bâtiment avec des matériaux naturels est souvent plus cher. Les matériaux naturels nécessitent souvent des techniques constructives plus longues, artisanales et minutieuses. Ce n’est pas la matière qui coûte mais le temps passé sur chantier.
Néanmoins, permettant une diminution importante de la quantité d’énergie nécessaire au chauffage ou au rafraichissement de l’habitat, la construction en matériaux naturels permet une économie sur le long terme.
Mettre en œuvre ces matériaux c’est aussi penser le projet un peu différemment. Il s’agira d’interroger les espaces, de construire peut-être un peu moins grand mais mieux en s’adaptant de façon précise à l’usage souhaité par les habitants (mutualisation d’espaces, travail d’alcôves dégageant différents usages dans un même espaces, etc). Le phasage du projet (c’est-à-dire la construction progressive du bâtiment) peut également être une solution d’économies immédiates. Il s’agira de permettre des extensions futures en prévoyant les accès ou encore la réversibilité d’une paroi.
B. L'entretien, la durabilité
Kengo Kuma nous enseigne également que :
« Supposé « solide » le béton est, en réalité, extrêmement fragile. Perçu comme immuable et réputé « robuste », il devient en quelques décennies un déchet industriel difficile à traiter. Pour corser le problème, son degré de détérioration n’est pas visible en surface. Si l’armature d’acier est rouillée ou si le béton a perdu de sa solidité, c’est pratiquement indétectable. Quand des matériaux comme le bois ou le papier s’abîment, la dégradation est visible à l’œil nu. Il suffit alors de remplacer la partie défectueuse pour prolonger la durée de vie de l’ensemble. Le temps du bois est celui de la continuité. Il nous suffit d’être attentifs et de remplacer soigneusement les éléments dégradés pour faire durer une structure en bois. » *6.
Les matériaux naturels ont une durabilité de vie remarquable, facilement réparable ces matériaux participent à garantir la longévité du bâti. En rénovation par exemple la mise en œuvre d’un correcteur thermique chaux-chanvre sur un mur pierre et d’un enduit de finition en terre permettront de préserver sa perméabilité (cf. Projet CHO). Le mur en pierre ne souffrira pas d’une plastification qui empêcherait l’eau de s’évacuer des parois et causerait des désordres liés à l’humidité et une diminution globale de l’espérance de vie de l’édifice.
Le matériau naturel soutient le matériau naturel.
C. L'esthétique
« Les matériaux naturels comportent toutes sortes d’imperfections. Si on les compare aux matériaux d’aujourd’hui, ils ont de nombreux défauts. Pour compenser leurs faiblesses, nous devons nous creuser la cervelle. Leur précarité même fait leur charme car, emplissant l’espace de fragilité, ils nous apaisent. »*7.
L’aspect « maison de hobbit » peut parfois être reproché aux matériaux naturels et notamment aux finitions qui peuvent être mises en œuvre. Le travail de l’architecte est de réfléchir avec l’habitant aux esthétiques souhaitées. Les encadrements de fenêtres arrondis liés à la continuité d’un enduit terre par exemple peuvent être redessinés aux moyens d’encadrement en bois ; les tonalités peuvent être travaillés afin d’orienter le projet vers des gammes chromatiques différentes de l’ocre, etc.
V. Conclusion
En résumé à travers cet article il s’agissait d’explorer les différents enjeux liés à la mise en œuvre de matériaux naturels mais également leurs qualités, leurs défauts et les conditions de mises en œuvre.
Le rôle de l’architecte est de présenter ces enjeux, de les discuter et de les avancer dans les projets.
Chaque bâtiment nait néanmoins d’un véritable échange avec les futurs usagers et usagères / habitants et habitantes. L’économie du projet, les choix esthétiques, les besoins d’usages, etc, définissent à chaque fois de nouveaux principes clés et c’est à l’architecte de réfléchir à la manière de les relier tout en essayant de les rapporter aux enjeux globaux cités plus haut.
Cet article s’est largement appuyé sur l’ouvrage de Kengo Kuma, un des premiers penseurs de l’architecture écologique qui a questionné dès le début des années 90 au Japon, l’emploi du béton. Son œuvre m’est chère et je suis heureuse d’avoir pu écrire en m’appuyant sur son travail.
Rédaction: Estelle Choucq
Date: 03/04/2025
*1. KUMA, Kengo. L’architecture naturelle. P.15
*2. Ministère de la transition écologique, Matériaux de constructions biosourcés et géosourcés [En ligne] https://www.ecologie.gouv.fr/politiques-publiques/materiaux-construction-biosources-geosources
*3. KUMA, Kengo. L’architecture naturelle. P.16
*4. Sources : https://o-immobilierdurable.fr/mesurer-lempreinte-eau-vers-des-batiments-a-consommation-responsable/
*5. KUMA, Kengo. L’architecture naturelle. P.7
*6. KUMA, Kengo. L’architecture naturelle. P.13
*7. KUMA, Kengo. L’architecture naturelle. P.148